« [C]e que vous apercevez maintenant ne ressemble à rien de ce que vous avez rencontré ailleurs. »
Le célèbre Paul Gavarni naît Sulpice-Guillaume Chevallier. Il ne prendra le nom de Gavarni qu’après avoir, à de multiples reprises, parcouru les Pyrénées, notamment en Gavarnie. D’un milieu modeste, le jeune homme travaille comme ouvrier mécanicien avant de réaliser l’importance de son don dans le maniement du crayon. Très apprécié pour ses caricatures et ses illustrations, son talent ne tarde pas à être décelé parmi ses contemporains. Ses compositions, traduites en lithographies, sont destinées à de nombreux journaux dont il devient le fournisseur régulier aux côtés de Honoré Daumier tels que Le Charivari, La Caricature, La Mode, L’Illustration ou encore Le Journal des gens du monde, qu’il co-fonde en 1833.
Les années 1840 marquent un tournant dans sa carrière. Désormais, Gavarni est appelé à illustrer les romans et fréquente régulièrement les salons littéraires et artistiques. L’armée d’écrivains romantiques qu’il côtoie à Montmartre s’adressent alors à lui, il s’agit de Balzac, Sand, Nodier et Victor Hugo. Grâce à ses dessins, les romanciers voient désormais leurs ouvrages prendre vie sous le crayon de l’artiste qui dépeint avec humour les mœurs de la bourgeoisie et la vie de bohème sous Louis-Philippe et le Second Empire.
C’est avec Victor Hugo, croisé lors de l’un de ses séjours dans les Pyrénées où il est de passage en 1843, que Gavarni semble entretenir la plus grande complicité. Observateurs attentifs du monde qui les entourent, les deux hommes développent une amitié qui conduira sur de nombreux témoignages affectifs. En 1862, Gavarni est invité par la maison d’édition d’Albert Lacroix et Verboeckhoven au banquet donné en l’honneur de Victor Hugo afin de célébrer le succès des Misérables. Gavarni est alors considéré comme « l’artiste éminent que son nom et son talent ont désigné pour illustrer cette grande œuvre ».
Notre tableau est un excellent exemple de ces échanges affectifs. En 1829, l’artiste réalise pour le journal L’Illustration, une lithographie représentant son ami assis dans sur une bergère Louis XVI dans un intérieur feutré (ill. 1). Cette lithographie fut réalisée d’après une huile que l’artiste destine à son ami, dont un envoi est lisible en bas à droite de notre composition. Notre portrait doit ainsi être daté quelques temps avant la lithographie, entre les années 1827 et 1829. Dans ce portrait, Hugo, âgé entre 25 et 27 ans, est d’ores et déjà à la tête d’une importante production littéraire. Sa dernière publication n’est autre que Cromwell (1827) qui deviendra le manifeste du romantisme.
Notre tableau est d’autant plus rare dans l’œuvre de l’artiste qu’elle fut réalisée à l’huile, technique que l’artiste ne pratique que rarement et qu’il réserve pour des œuvres intimistes, dans lesquelles la lumière tient un rôle majeur. Ce portrait, dépeint dans cette atmosphère chaleureuse, rejoint cette mince production. Grâce à une touche porcelainée et extrêmement précise, faisant écho à sa carrière de dessinateur et lithographe, la lumière est ici ingénieusement dirigée sur le visage du modèle dont on aperçoit une petite touche de blanc sur l’arête du nez.
La ressemblance avec les autres portraits de Victor Hugo de la même période, mince et élancé tel que représenté dans notre portrait, est marquante. Les œuvres de Deveria en 1829, Maurin en 1833 et plus tard Chatillon en 1836 mettent en lumière la psychologie de ce regard perçant, déterminé et intense qui inspira la fascination et le respect de ses contemporains (ill. 2, 3 et 4).
Contemplateur averti de la société parisienne de Louis-Philippe et du Second Empire, décoré de la Légion d’honneur en 1852, Paul Gavarni connut la notoriété jusqu’à la fin de sa carrière dans les années 1860. Plus qu’un simple portrait, notre tableau se veut le témoin d’une relation professionnelle et plus encore amicale. Le futur chef de file des romantiques y est représenté calme et serein, à l’aube d’une éminente carrière.
M.O